Nouvelle

Dansent sur les toits, tous les chats du monde, à la nuit tombée. Comme si personne ne les voyait, comme s'ils étaient libres Dansent, à la pâle lumière de la lune.


Alors que le jour vivent les hommes, lorsque le Soleil descend et que tous les honnêtes gens vont se coucher, la ville n'appartient plus qu'aux chats. Ils sortent de chez eux, et vont sur les toits ; ils jouent, ils sautent, tous gris, presque argentés, comme le ciel lorsqu'il est recouvert d'étoiles. Mais un petit chat était différent d'eux car même lorsque la nuit venait, quand il sortait de chez lui pour rejoindre les autres il était noir, plus encore que le soir.
Bien sûr, c'était le seul ; il crût d'abord qu'il était trop jeune, que les autres chats de son âge ne sortaient pas le soir et qu'il arriverait un âge où son pelage deviendrait gris, presque argenté, comme le ciel lorsqu'il est recouvert d'étoiles. Lui aussi. Mais les jours passaient, et il restait noir, plus encore que le soir.
Les autres ne voulaient pas de lui. Lorsqu'il venait jouer avec eux, ils lui disaient de rentrer chez lui, que la nuit n'était pas faite pour les petits chats noirs comme lui. Alors, il restait seul, à les regarder danser sur les toits, avec cette aisance que tous les chats gris semblaient avoir, effleurant les briques sans le moindre son, sautant avec tellement de légèreté qu'ils semblaient voler. Toutes les nuits, il leur demandait comment faire pour être comme eux, comment faire pour juste jouer avec eux, mais ils ne lui répondaient avec rien d'autre que le mépris des chats. Alors, il restait seul, le soir.
Si vieillir n'y faisait rien, il devait sûrement faire quelque chose. Après tout, comment croire qu'il était simplement un oublié du destin ? Un chat raté ? Non, la journée, lorsqu'il était avec ses maîtres, à la maison, il savait bien qu'il était un chat, un vrai chat. Alors il devait sûrement accomplir quelque chose, pour lui aussi devenir gris, presque argenté...

Un jour, ses maîtres parlèrent d'un sage, à l'entrée du village, ils racontaient qu'il savait tout ce que l'on put savoir, même parler aux bêtes et comprendre les plantes. Si quelqu'un savait comment devenir gris, c'était bien cet homme-là. Le soir même, à toute hâte, le petit chat se rua chez lui. Enfin, il en était sûr, on allait le lui dire, il allait pouvoir jouer avec les autres !
A peine eut-il posé la patte contre la fenêtre du Sage qu'il vint lui ouvrir. Il le fit entrer et lui demanda ce qu'il venait chercher chez lui. Alors il lui expliqua la situation ; les chats gris, son problème. Le Sage ne lui dit rien, puis le supplia. Il voulait les rejoindre.
« Je vois. Normalement, les petits chats comme toi ne sortent pas la nuit, tu sais ? Préfères-tu la compagnie de ces chats que tes maîtres et ton foyer ? » Il hocha la tête. C'était tout ce qu'il souhaitait. « Dans ce cas, peut-être mérite tu de les rejoindre. » L'air sombre, il prit un flacon sur une étagère et le versa dans un bol. « Tu ne redeviendras jamais ce que tu étais. » Mais le petit chat s'en moquait bien, il sera ce qu'il avait toujours voulu être. Il but à grandes lampées, et attendit. Mais rien. « Ce que tu viens de boire, c'est de la cigüe. Un poison mortel. » Un poison ? Il lui avait fait confiance, et voilà que ses pattes se dérobaient sous lui.
Et alors qu'il commençait à ne plus sentir le poids de son corps, il baissa une dernière fois la tête.. et ses membres étaient gris. Presque argentés. Comme le ciel, lorsqu'il est recouvert d'étoiles.

***Dansent sur les toits, un jour, tous les chats du monde, à la nuit tombée. Car personne ne les voit, car ils sont libres. Dansent, à la pâle lumière de la lune.